Qui remportera les Oscars du chaos ?
Après une campagne hautement imprévisible, marquée par les scandales, les incendies, et la montée du fascisme, petits pronostics de dernière minute.
Il y a des choses dont la prévisibilité est grandement appréciable, comme le fonctionnement des avions ou l’avenir de la démocratie. Mais en ce qui concerne les cérémonies de remise de prix, c’est l’inverse : plus c’est instable, mieux c’est.
En 2025, avec les Oscars du chaos, on aura été particulièrement gâtés. À part quelques surprises (Moonlight en 2017 et Parasite en 2020), voilà plusieurs années que la course aux Oscars ronronne tranquillement : il suffit d’observer d’assez près l’évolution de la campagne, les différents discours et les prix remis au fil des mois, pour deviner qui l’emportera le grand soir. Mais cette saison très particulière a vu se dérouler l’une des campagnes les plus mouvementées et imprévisibles de l’Histoire de la cérémonie.
Il y a eu, en janvier, les incendies dévastateurs de Los Angeles et sa région, qui ont entraîné l’annulation ou le report de plusieurs événements-clés, en plus de fortement affecter le moral et le quotidien de nombreux membres de l’industrie.
Il y a eu la saga Emilia Pérez : le film d’Audiard, considéré pendant quelques semaines comme l’incongru favori, a vu ses chances plombées par un scandaleux scandale (les tweets racistes de son actrice principale, Karla Sofia Gascón). Au final, la seule rescapée de cette histoire sera sans doute Zoe Saldaña, qui a récolté pratiquement tous les prix auxquels elle était éligible depuis le début de la campagne, et est partie pour gagner l’Oscar du Meilleur second rôle féminin. Gascón, qui avait carrément été écartée de la campagne par Netflix, sera quant à elle présente à la cérémonie… mon seau de pop corn est prêt.
Et puis, il y a eu la réélection de Trump en novembre 2024, les décrets anti-diversité, les purges administratives, la transphobie institutionnalisée, la menace d’une troisième guerre mondiale, tout ça quoi. Comment remettre des prix quand on a l’impression que le monde bascule ? Il me semble que la question se pose un peu plus chaque année, et contrairement aux levées de boucliers d’Hollywood en 2016, cette fois-ci, l’industrie se montre fort silencieuse. Heureusement, on pouvait compter sur Jane Fonda, honorée lors des SAG Awards une semaine avant les Oscars, pour remettre les pendules à l’heure :
«J’ai fait mon premier film en 1958, à la fin du MacCarthysme, alors que tant de carrières étaient détruites. Aujourd’hui, il faut se souvenir qu’Hollywood a résisté. (…) Avez-vous déjà regardé un documentaire sur un grand mouvement social, comme l’Apartheid, les droits civiques ou Stonewall, en vous demandant si vous auriez été assez courageux pour traverser le pont ? Si vous auriez pu faire face aux matraques, aux jets d’eau et aux chiens ? Nous n’avons plus à nous poser la question, parce qu’on y est, dans notre documentaire. C’est le moment. On y est, et c’est du sérieux. Alors soyons courageux.» Espérons que les Oscars, eux aussi, sauront se montrer à la hauteur du moment politique.
Les pronostics du chaos
Petit tour d’horizon des œuvres nommées à l’Oscar du Meilleur film, et leurs chances (ou non) de l’emporter ce soir.
Dune, deuxième partie : Le film de Denis Villeneuve sur l’épice magique et les vers de terre géants n’a pas reçu beaucoup d’amour au cours de cette campagne, et a très peu de chances de gagner la statuette suprême ce soir, l’Académie «réservant» sans doute ses votes pour le dernier volet. Allez Denis, rendez-vous en 2027.
Nickel Boys : Trop peu de gens ont vu cette adaptation du (remarquable) roman de Colson Whitehead, et sa proposition esthétique (entièrement en caméra subjective), bien que saisissante, peut aussi s’avérer clivante. Perso, je trouve que c’est un des plus beaux films de cet excellent cru 2025, et ça tombe bien, vous pouvez le rattraper sur Amazon Prime Video.
The Substance : Si tout ça ne tenait qu’à moi, The Substance gagnerait ce soir (et LÀ, ça serait vraiment le chaos). Mais je suis déjà très heureuse qu’un des films les plus barrés, gores et et réjouissants de l’année se retrouve dans cette liste. A priori, comme Nickel Boys, il n’a malheureusement aucune chance face aux autres gros concurrents. Mais l’espoir fait vivre !
Wicked : Mon obsession de fin 2024 avait tout pour remporter l’Oscar du meilleur film. Des stars charismatiques, du grand spectacle, un succès mainstream et un message (le fascisme c’est mal). Mais sa campagne s’est essoufflée il y a quelques temps déjà, et le film est sans doute désormais considéré comme trop léger pour décrocher le prix suprême. Allez, on passe aux gros poissons…
Emilia Pérez : Toutes mes excuses à Monsieur Audiard, à qui je voue une immense admiration, et qui, heureusement, ne lit pas cette newsletter. Parce que son film, que j’ai vu deux fois par acquis de conscience, restera ma némésis de cette saison. Ma bête noire. Une déception dissonante, interminable et politiquement très questionnable, malgré la qualité évidente de sa mise en scène.
En dépit de son nombre record (13) de nominations, le film a sans doute flingué toutes ses chances avec ses trop nombreuses polémiques (en plus de Karla Sofia Gascón, certaines déclarations d’Audiard ont hérissé pas mal de monde). CEPENDANT. Il ne faut jamais sous-estimer l’anti-wokisme fervent d’une partie de l’industrie. Le film, de toute évidence assez populaire pour décrocher toutes ces nominations, pourrait ainsi susciter suffisamment de sympathie auprès de membres de l’Académie ayant eux aussi été canceled, ou peur de l’être. Oui, j’adore les théories folles. Héhé.
Je suis toujours là : Le film de Walter Salles a mené une campagne remarquable et confirme la place de plus en plus importante du cinéma international dans la course aux Oscars. Il ne partait pas favori, mais le sort d’Emilia Pérez pourrait le favoriser auprès des votants internationaux, dont le plus grand nombre depuis 2017 a beaucoup modifié le cours des Oscars.
The Brutalist : Un immense accomplissement technique, même si je n’arrive toujours pas à ressentir beaucoup de passion pour ce film – et ce après trois visionnages, ce qui équivaut à un Paris-Lima. Mais le film, indéniablement impressionnant, fait partie des grands favoris ce soir et remportera à coup sûr plusieurs Oscars. Sa campagne a été menée sur plusieurs axes : la performance époustouflante d’Adrien Brody, mais aussi l’importance de soutenir les projets uniques et indépendants, le film ayant été tourné avec un très faible budget.
Conclave : Fun, intelligent, grand public, pro-bienveillance et paix dans le monde, le film a tout pour plaire aux votants et remportera probablement l’Oscar du meilleur scénario adapté. En temps normal, le fait que son réalisateur n’a pas obtenu de nomination dans sa propre catégorie aurait tendance à le disqualifier pour l’Oscar du meilleur film… mais cette année, tout est possible, et il ferait un beau choix de consensus.
Anora : Étant une fanatique de Sean Baker depuis Tangerine, je voulais vraiment aimer Anora… Mais je crois qu’il y a quelque chose qui me dérange idéologiquement dans ce film, et que j’ai encore du mal à formuler avec précision. Je pense que ceux qui l’accusent d’être purement misogyne se trompent, mais je crois aussi que la tendance de troll de Sean Baker me déplaît de plus en plus. À quelques heures de la cérémonie, le film est en tout cas considéré comme le grand favori par beaucoup de prédicteurs très fiables, qui passent leur année à suivre la course aux Oscars et s’y connaissent bien mieux que moi. Mais comme il faut se mouiller dans la vie, je vais prendre le risque de m’humilier d’ici quelques heures, et émettre l’hypothèse que le film soit trop clivant. Contrairement à…
Un parfait inconnu : Oui, vous le savez sans doute, grâce au système de vote préférentiel (dont je vous parlais ici), l’Oscar du meilleur film ne récompense pas vraiment le meilleur film… Mais celui qui plaît suffisamment au plus grand nombre. Le film de James Mangold est conventionnel, mais aussi extrêmement plaisant, et très bien incarné. C’est un biopic hollywoodien maîtrisé et inoffensif, qui ne déclenche peut-être pas autant les mêmes passions qu’Anora ou The Brutalist, mais pourrait se retrouver sur suffisamment de bulletins de vote en en deuxième ou troisième position, pour finalement l’emporter. En tout cas, dans une année moins imprévisible, c’est le résultat sur lequel j’aurais misé.
La réponse dans quelques heures. Certains prix vous donneront un premier indice, notamment celui du Meilleur montage (si Sean Baker gagne, alors Anora est bien parti), ou celui du Meilleur réalisateur (si Brady l’emporte, The Brutalist prend l’avantage). J’aurais aimé écrire plus ici sur la campagne, mais comme souvent, la vie a un peu pris le dessus et je n’ai pas eu beaucoup de temps pour me consacrer à cette petite newsletter. Pour ceux que ça intéresse, je partagerai mes pronostics détaillés et mes impressions sur Bluesky tout au long de la nuit, et j’espère avoir l’occasion de reparler de la cérémonie ici (on verra si j’avais juste un peu tort, ou carrément tort !).
En attendant, pour Marie-Claire, j’ai répondu à la question suivante : faut-il forcément avoir joué dans un biopic pour remporter l’Oscar du meilleur acteur ?
À très vite !
3 visionnages de The Brutalist 🙀 Je n'ai déjà pas le courage d'affronter une seule fois les plus de 3 heures que dure ce film (malgré une bande annonce très réussie).
Pour ma part je suis contente de voir Flow, le chat qui n'avait plus peur de l'eau remporter le prix du meilleur film d'animation dans toutes les sélections (Golden Globes, César et maintenant l'Oscar)