POV : tu votes aux Golden Globes
Une insider (moi) répond à toutes vos questions sur les coulisses de ces prix.
Vous ne le savez peut-être pas, mais l’année calendaire est en fait divisée en trois saisons : Cannes (avril - mai), l’été (juin - août), et la awards season (septembre - mars).
Tous les ans, j’observe avec ferveur la campagne aux Oscars : je m’assure d’avoir vu tous les films pressentis, j’ausculte tous les looks, je lis toutes les interviews, je décortique les résultats de chaque grande cérémonie de remise de prix (SAG, BAFTAS, Golden Globes), j’écoute toutes les prédictions et analyses des insiders hollywoodiens, et je me demande pour qui je voterais si j’en avais la possibilité. Jusqu’au jour où cette possibilité est devenue une invraisemblable réalité.
Depuis deux ans, j’ai l’immense privilège d’être membre des Golden Globes, et de voter, aux côtés de 300 et quelques autres journalistes, pour les meilleurs films et séries de l’année. Décernés début janvier, ces prix sont souvent considérés comme la première grosse étape dans la course aux Oscars. La soirée est réputée pour ses discours de célébrités bien éméchées (c’est la seule cérémonie à disposer d’un open bar), et pour donner un premier indice sur le déroulement du reste de la saison. Par exemple, la popularité d’Emilia Pérez a été fortement confirmée par ses nombreuses victoires lors de la soirée du 5 janvier (Meilleur film musical ou comédie, Meilleur film en langue étrangère, Meilleure chanson originale, Meilleure actrice dans un second rôle).
Au fil des mois, j’ai reçu pas mal de questions sur ma participation à cette expérience. J’ai donc décidé de les compiler et d’y répondre ici.
“Comment tu t’es retrouvée à voter aux Golden Globes ?!”
Excellente question, que l’on me pose généralement avec un air un peu trop dubitatif à mon goût. Ce qu’il faut savoir, c’est que contrairement aux Oscars ou autres grandes cérémonies de remises de prix, les Golden Globes ne sont pas décernés par des membres de l’industrie (monteurs, réalisateurs, producteurs, compositeurs etc) mais par un groupe de journalistes internationaux, qui a fortement évolué ces dernières années.
Pour la faire très courte, il y a quatre ans, une enquête du LA Times a révélé que l’organisation chargée de décerner les prix, la HFPA («association de presse étrangère à Hollywood», constituée de quelques dizaines de membres basés à Los Angeles), était peu diversifiée, et fréquemment corrompue par les studios. Suite au scandale, les Golden Globes ont changé de propriétaire et de diffuseur. L’organisation a alors décidé de raffermir ses règles déontologiques, et de recruter beaucoup de nouveaux membres vraiment internationaux pour gagner en crédibilité. Ils ont frappé à la porte de plusieurs associations de critiques, notamment une à laquelle j’appartiens. Mon nom a été recommandé, et les Golden Globes m’ont ensuite envoyé un formulaire de candidature à remplir. Et paf, je suis devenue Golden Globeuse.
“Comment se passent les nominations ?”
D’octobre à décembre, les studios soumettent leurs propres candidats (ce qui veut dire que, même si j’estime que le meilleur film non-anglophone de l’année était La Bête de Bonello, je ne peux pas voter pour, car il n’était pas candidat). Plusieurs centaines de projets étant éligibles, les screeners inondent ma boîte mail (il y a certains jours où j’en reçois un toutes les demie-heures). Pendant cette période, j’essaie d’en regarder le plus possible sans pour autant sacrifier mes impératifs de Journaliste Rémunérée™, et tout en ayant une vie privée – autant vous dire que c’est parfois sportif.
Je vote deux fois : pour les nominations, puis pour le résultat final. Parfois, le choix est déchirant.
“Pour qui tu as voté ?”
Je n’ai pas le droit de révéler mes votes, même si un tel secret est difficilement conciliable avec mon métier, qui consiste à dire publiquement ce que je pense de tous ces films. Pas besoin d’être un grand détective pour vous faire une idée.
“Est-ce que tu es obligée de tout regarder ?”
Non, et je pense que ce serait physiquement impossible à moins d’être attachée face à un écran pendant trois mois, Orange Mécanique-style. Mais j’essaie d’avoir un aperçu le plus exhaustif possible de tous les projets éligibles, films comme séries. Le plus difficile est de trouver le bon équilibre entre les «gros» projets incontournables, qui sont déjà pressentis pour aller loin au cours de la saison et que je me sens donc obligée de voir, et ceux qui partent avec un désavantage car personne n’en a jamais entendu parler. J’essaie aussi de ne pas me limiter à mes goûts personnels lorsque je choisis quoi regarder.
“Est-ce que tu reçois des formes de lobbying discret ?”
Oui, mais aussi et surtout des formes de lobbying pas discret. Tous les films éligibles doivent évidemment être rendus accessibles, soit par un screener en ligne, soit par une projection. Mais certains studios font un peu de zèle pour attirer l’attention sur leurs œuvres. Depuis le démarrage de la campagne, j’ai reçu plusieurs fois par semaine des colis contenant des vinyles de bande-son, des scripts, des CDs, des partitions de musique, mais aussi des livres sur le making-of de tel ou tel film. Parfois, les colis sont accompagnés d’un mot du cinéaste / du compositeur / du chef des effets spéciaux, etc. Les mots signés, ainsi que les cartes postales, ou encore les cartes de vœux, sont interdits par le règlement, et pourtant... Je veux pas balancer, mais y en a qui trichent.
Pour ceux qui ont le budget, des projections dinatoires sont également organisées en présence des équipes des films, qui viennent répondre aux questions, papoter autour de petits fours et serrer des mains (il faut préciser que ces événements, autorisés et très répandus tout au long de la campagne, ne sont pas spécifiques aux Golden Globes).
Après l’annonce des nominations, j’ai également reçu des vidéos face cam de certaines stars me souhaitant un joyeux Noël. C’était très étrange.
“Est-ce que ça marche ?”
Personnellement, aucune rencontre, vinyle ou coupe de champagne ne m’a fait changer d’avis sur un film, ni donné envie de voter pour quelqu’un par pure sympathie. Les œuvres que j’ai adorées auraient eu mon vote avec ou sans petit four. Et j’ai croisé plein de cinéastes que j’admire mais dont je n’ai pas du tout aimé le film. Je suis une pique-assiette, mais j’ai des principes.
“Connais-tu la répartition des votants par pays ?”
Non, mais toutes les infos sont disponibles sur le site des Golden Globes. Mais c’est extrêmement diversifié : du Guatemala à l’Egypte en passant par le Montenegro, les journalistes membres ne sont pas uniquement européens ou anglo-saxons, ce que je trouve plutôt chouette. Le corps de votants est aussi en pleine expansion : en France, nous n’étions que 3 ou 4 l’année dernière, contre une douzaine cette année.
“Est-ce que vous avez un groupe WhatsApp ?”
Non ! Et vu le nombre de membres, ce serait mon pire cauchemar.
“Est-ce que d’autres membres te parlent de leur vote ? Est-ce que c’est autorisé ?“
On n’a pas le droit de parler de nos votes, mais j’imagine que ça se fait en off. Je croise souvent les mêmes personnes aux projections, mais certaines votent pour les Oscars ou les César, d’autres sont juste des VIP, donc je ne sais jamais trop si l’on vote pour la même chose. Surtout, je suis très timide et asociale, donc je reste généralement cachée dans un coin avec une réserve de petits fours.
“Avez-vous un droit de regard sur la catégorisation des films en drame / comédie ?”
Pas du tout. Ce sont les studios et équipes des films qui choisissent leur catégorie (pareil pour la distinction entre rôle principal et rôle secondaire). Ça peut donner des choix étranges, souvent stratégiques (The Bear en série comique, The Substance ou Anora en comédie, Zoe Saldaña en rôle secondaire plutôt que principal).
“Qui sont les plus gros forceurs de la campagne pour l’instant ?”
Comme l’année dernière avec Maestro, Netflix met les bouchées doubles pour promouvoir ses poulains, notamment Emilia Pérez : mails, projections, listening parties, relances de mails, supports physiques, encore plus de mails, interviews, featurettes, bref, ils ont tout donné. J’ai aussi reçu une quantité de promo assez conséquente pour le docu sur / de Pharrell Williams avec des Lego, et pour le film d’animation Le Robot sauvage (qui n’a pourtant rien gagné aux Golden Globes, comme quoi ça ne marche pas toujours). Mais celui qui vous surprendra peut-être le plus, vu sa patine «cool kids indé», c’est Anora, qui fait campagne à fond.
“Qu’est-ce qui t’a le plus surpris en passant de l’autre côté du miroir ?”
Depuis des années, j’entends certains de mes critiques américains préférés dire que les Golden Globes «ne servent à rien» ou «sont une blague», ce qui n’est pas surprenant au vu des accusations de corruption faites en 2021. Et bien que je me considère volontiers comme une blague, maintenant que je vois le fonctionnement de l’intérieur, leurs analyses me paraissent parfois à côté de la plaque – par exemple, certains prédisaient que Nicole Kidman allait forcément gagner cette année, pour la simple raison qu’elle a déjà été nommée et récompensée plein de fois par les Golden Globes. Étant donné que beaucoup de membres actuels ne votaient pas il y a quinze ans, je ne vois pas trop le rapport. Au final, c’est Fernanda Torres qui a remporté le prix de la Meilleure actrice, pour le film brésilien I’m Still Here, ce qui reflète selon moi la nouvelle sensibilité internationale et plus diversifiée des Golden Globes. Et tous les gens que j’ai croisés en projection me semblent consciencieux, et sincèrement intéressés par les films, bien plus que par les paillettes. Mais peut-être que c’est propre à Paris.
Pour finir
Si l’univers des remises de prix vous intéresse (et si vous êtes arrivés à bout de cette newsletter, a priori, ça doit être le cas), j’ai écrit plusieurs articles sur le sujet, notamment sur l’importance de mener une bonne campagne pour gagner, et le système de votes aux Oscars.
Je vous conseille aussi l’excellent livre Oscar Wars de Michael Schulman, que j’ai eu l’occasion d’interviewer pour les articles ci-dessus.
À deux mois des Oscars, la saison ne fait que commencer, et j’ai hâte d’en reparler avec vous.
Je viens d'apercevoir Jeff Goldblum. Je pense à Marie 😂