Faut-il comprendre un film pour l'aimer?
Tenet, I'm Thinking of Ending Things, et ce que j'en ai (pas) compris
Bonjour!
Comme son nom l’indique, ceci est une newsletter sur le cinéma. Mais pourquoi Mozzarella Sticks? Parce que c’est ma nourriture de ciné préférée, bien plus que le popcorn ou les dragibus (même si je reconnais qu’en dehors du Alamo Drafthouse*, c’est un movie snack assez difficile à se procurer. Mais on n’a rien sans rien!). Surtout, c’est un titre à mon image: c’est con, ça n’a aucun sens et c’est plein de fromage. Ah oui, d’ailleurs qui suis-je? Une question que je me pose assez régulièrement mais je vais vous donner la réponse la plus courte et la moins existentielle possible: je m’appelle Anaïs. Et si on veut aller un petit peu plus loin, je suis journaliste culture et critique ciné depuis une dizaine d’années. Dans cette newsletter à la fois croustillante et fondante, vous trouverez mes avis et mes réflexions sur les sorties cinéma du moment, qu’elles soient en salles ou en streaming, mais aussi sur des vieux films que je découvre à peine ou que je souhaite revisiter. Ces avis seront forcément personnels et subjectifs, la critique objective n’ayant pas encore été inventée.
J’ai voulu lancer ce projet parce qu’en tant que journaliste pigiste, je suis particulièrement passionnée par le travail gratuit. Cette newsletter n’a donc aucun but lucratif. Elle est juste un moyen pour moi d’exprimer certaines de mes réflexions sur le cinéma, dans un cadre plus informel que mes articles, et moins condensé et «hot take-y» que Twitter. Même si je suis particulièrement endurante lorsqu’il s’agit de parler dans le vide, j’espère aussi pouvoir échanger avec vous sur tous ces sujets (pour ce faire, il vous suffit de répondre directement à ce mail ou dans la section «commentaires» en bas du post). Si vous êtes, comme moi, insatiable lorsqu’il s’agit de cinéma, que vous aimez en parler de manière intelligente mais pas prétentieuse, ou encore si vous m’aimez, vous pouvez vous abonner. Et sinon…
* chaîne de cinémas texans auxquels je suis très attachée et dont je risque de souvent parler ici
Tenet et I’m Thinking of Ending Things: les films incompréhensibles
Quand Clémence Poésy, au début de Tenet, dit à John David Washington de «ne pas chercher à comprendre, mais seulement à ressentir», je me suis dit «t’inquiète meuf, c’était déjà prévu». Je n’ai pas compris grand chose à Tenet. Mais je l’ai suivi sans difficultés. Comme dans Dunkerque, Nolan est très fort pour nous plonger immédiatement dans l’action sans s’embarrasser d’une introduction traditionnelle ni caractériser à outrance ses personnages. Sa séquence d’ouverture propulsive, la bande-son de Ludwig Göransson et les scènes d’action spectaculaires m’ont totalement scotchée, et m’ont rappelé ce qui m’avait tant manqué après six mois passés sans cinéma. Sous mon masque, je me suis laissée submerger par l’expérience et j’ai passé deux heures et demie à sourire béatement.
Contrairement à Tenet, j’ai regardé I’m Thinking of Ending Things, autre film incompréhensible, dans mon canapé. Dans l’œuvre de Charlie Kaufman diffusée sur Netflix, Lucy et Jake, en couple depuis quelques semaines, vont dîner chez les parents de ce dernier. Le film semble nous plonger dans les pensées de Lucy, qui envisage de rompre avec Jake et semble de moins en moins enthousiaste à l’idée de passer une soirée avec lui et ses parents. Mais plus l’intrigue avance, plus d’infimes détails viennent brouiller nos repères. Le montage abrupt désoriente, et plusieurs réalités semblent s'entremêler sous nos yeux. Lucy commence à recevoir des appels d’elle-même sur son portable. Son identité ne cesse de changer: Jake l’appelle Lucy, puis Louisa. Ses vêtements changent d’une scène à l’autre, son métier aussi: un coup elle est biologiste, puis poète, puis gérontologue. Dans la chambre d’enfant de Jake, Lucy repère un livre de Pauline Kael, célèbre critique de cinéma, et plus tard dans la voiture, elle se met à réciter une de ses critiques, comme possédée par l’autrice américaine. Au même moment, on entrevoit le quotidien d’un concierge de lycée, sans comprendre son lien au reste de l’histoire. Le film est volontairement déroutant, et contrairement à Tenet, il ne contient aucune scène avec Kenneth Branagh qui nous explique dans un faux accent russe ce qui est en train de se passer. D’ailleurs, une petite recherche Google quelques jours après mon premier visionnage m’a révélé que je n’avais absolument rien compris à I’m Thinking of Ending Things. Pourtant, je l’ai adoré.
Quand ton mec n’est pas covid.
J’ai eu le sentiment d’assister à un film onirique et très cynique sur la solitude et le délitement d’une relation. J’y ai vu (et je vous interdis d’en déduire quoi que ce soit sur moi ou sur ma vie) l’idée que la vie de couple est aliénante; quels que soient notre métier, notre âge, nos circonstances, nos goûts ou nos conversations. J’y ai vu un commentaire sur l’impossibilité des personnages féminins à être autonomes dans la fiction. Spoiler spoiler spoiler spoiler Tout ça est d’autant plus ironique que l’histoire est en fait entièrement imaginée par le concierge du lycée, un personnage masculin. Je me suis identifiée à l’héroïne, alors même qu’elle n’était pas réelle. Spoiler spoiler spoiler spoiler
Je l’ai revu une deuxième fois. Et j’aime toujours autant mon interprétation, même si ce n’est pas techniquement la bonne. Le «vrai» sens du film (et du roman dont il est tiré), m’a paru à la fois intéressant et décevant, car trop terre à terre. N’en déplaise à Reddit, je ne pense pas qu’un film est forcément fait pour être compris – c’est une des nombreuses raisons pour lesquelles j’adore David Lynch, qui ne s’est jamais embêté à expliquer les siens. Charlie Kaufman et Iain Reid (l’auteur du roman) ne le pensent pas non plus: selon eux, ITOET parle du concept même d’interprétation (Lucy, après tout, est réinterprétée plusieurs fois au cours du film), et si vous avez fait l’effort de vous plonger dans une œuvre, la vôtre est aussi légitime que celle de l’auteur.
C’est peut-être ce qui m’a le plus dérangée dans Tenet: Nolan ne peut s’empêcher de vouloir tout expliquer, et transforme son film en un long dialogue d’exposition qui n’éclaire au final pas grand chose (heureusement, il en rigole, comme lorsqu’il coupe une scène où Robert Pattinson s’apprête à expliquer la physique quantique). Résultat: il asphyxie toute possibilité de nous émouvoir.
Le seul truc que vous devez savoir sur Tenet c’est que John David Washington se bat en COSTUME TROIS PIÈCES avec une RÂPE dans une CUISINE.
Aussi à l'affiche
The Social Dilemma (Netflix) – Ravie de vous annoncer, dans cette newsletter tapée sur un Macbook, que ce documentaire regardé sur Netflix m’a donné envie de cramer tous mes outils technologiques et me déconnecter de la planète Terre.
The Perfect Candidate– Un joli film sur une femme médecin qui se présente aux élections municipales en Arabie saoudite. Par Haifaa al-Mansour, la réalisatrice éclectique de Wadjda, Mary Shelley et Nappily Ever After.
Mignonnes – J’ai essayé du mieux que possible de rassembler ici mes pensées sur ce film exigeant, qui lui aussi, semble souffrir d’une certaine incompréhension.
Light of my life – Bof.
Le coin VHS (aka les vieux trucs que j'ai enfin rattrapés)
The Founder (Netflix) – Ce film sur la création de McDo m’a donné envie de 1) détruire le capitalisme 2) faire un câlin à John Carroll Lynch 3) commander un double cheese.
Gladiator (DVD) – J’ai attendu très longtemps pour voir ce film parce que j’avais peur qu’il soit trop long. Je confirme qu’il est trop long.
Proxima (Canal+) - Ce film d’Alice Winocour, sur une astronaute qui se sépare de sa fille pour partir en mission dans l’espace, est essentiel. Je regrette vraiment de ne pas l’avoir vu plus tôt pour le crier sur tous les toits.
Bonus DVD
Rappel: Bohemian Rhapsody est un film maudit:
Si vous n’avez rien compris à la fin de I’m Thinking of Ending Things, lisez donc cet article.
Je suis la seule à me demander ce que David Lynch a pensé de Tenet et de ses gens qui parlent et marchent à l’envers?
Merci à Elisabeth d’avoir suggéré l’existence de cette newsletter, et au Alamo Drafthouse pour ses mozzarella sticks. Si vous avez aimé cette newsletter, n’hésitez pas à la partager!
Bravo pour cette nouvelle aventure, je vous lirais avec plaisir.